Depuis le fauteuil roulant très particulier sur lequel il se déplaçait allongé quasiment replié en Z sur le côté, Marcel Nuss a impulsé la plus grande avancée de ce siècle : ouvrir aux personnes handicapées dépendantes ne disposant pas d’une indemnisation assurantielle ou d’une fortune personnelle la garantie d’une vie autonome en dehors de la charité publique et des institutions médico-sociales. Il a su lancer et organiser dans l’hiver 2002 un bras de fer avec le gouvernement socialiste de l’époque : obtenir des forfaits Grande dépendance d’un montant de 60.000€ pour rémunérer des personnels d’aide à domicile 24 heures sur 24, alors que les bénéficiaires potentiellement concernés ne percevaient, au mieux, que l’Allocation Compensatrice Tierce-Personne inférieure à 750€. Sous la menace d’une grève publique de la faim, la ministre alors chargée des Personnes handicapées, Ségolène Royal, avait cédé – sans les recevoir – aux militants handicapés dépendants que Marcel Nuss avait mobilisés devant devant son ministère de la rue Brancion dans le 15e arrondissement de Paris.

Ce n’était pourtant pas gagné puisque la majorité socialiste a été balayée lors des élections présidentielles et législatives du printemps 2002 et que le Gouvernement de droite suivant a voulu oublier le sujet. C’est en mobilisant à nouveau, un soir d’automne 2002, par le blocage du carrefour du ministère, que la ministre Marie-Thérèse Boisseau a levé les pouces. Elle a même embauché Marcel Nuss comme conseiller, une mission effectuée dans des conditions restreintes qui ont entraîné sa démission au bout de 4 mois tant les politiques et les technocrates ne voulaient ni entendre ni voir les réalités des personnes handicapées dépendantes afin d’en minimiser le traitement social. Ce déni est toujours d’actualité, mais sans militant charismatique pour secouer le monde technocratisé du handicap qui remet toujours au lendemain ce qu’il refuse de faire sans avoir le courage de le dire ; c’est souvent sans, et même parfois contre les grandes associations nationales, que Marcel Nuss a agi. Et ce n’est pas l’attribution en novembre 2006 de la médaille de chevalier dans l’ordre national du Mérite qui l’a acheté, bien au contraire : « J’estime et j’espère que ce sont les 6 millions de personnes handicapées qui sont décorées à travers moi, avait-il réagi. L’apparat m’indiffère, ce sont des actes que je veux. Une telle distinction est un cautère sur une jambe de bois si elle ne peut pas permettre d’améliorer la situation des personnes handicapées en France, sur le terrain. »

C’est dans un autre combat que Marcel Nuss s’est ensuite engagé, lui qui a été marié, a eu deux enfants, et proclamé dans ses ouvrages poétiques ou libertins son amour des femmes : le droit à une vie sexuelle pleinement réalisée pour les personnes dépendant d’aides humaines. Il a importé en France l’assistance sexuelle alors développée uniquement en Suisse, sans parvenir toutefois à briser l’accusation hypocrite de prostitution-proxénétisme. Dans notre Hexagone, la morale bourgeoise et religieuse continue à régir les relations amoureuses par ailleurs polluées par certaines féministes elles-mêmes.

Grand homme de combat, Marcel Nuss nous manque depuis la retraite qu’il avait décidé de prendre en juin 2020, fort de ses réussites et lassé par l’inertie ambiante. Qu’il repose en paix.

Laurent Lejard, février 2024.

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